Une fille sans histoire – Constance Rivière

« Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ? »

Une fille sans histoire

Lorsque l’équipe des 68 premières fois a décidé de m’envoyer comme première lecture Une fille sans histoire pour ma participation à cette nouvelle aventure de lecture, elle ne pouvait pas s’imaginer à quel point je serais happée par ce premier roman. Parfois des romans ont un écho tout particulier dans notre vie et ce roman est l’un de ceux-là.
Les premières pages d’Une fille sans histoire m’ont replongée il y a quatre ans au cœur d’une nuit qui a bouleversé ma vie. Le roman de Constance Rivière a comme point de départ la nuit de l’attentat du Bataclan et attentats aux terrasses, la nuit du 13 novembre 2015. Cette soirée là, je n’étais pas au Bataclan mais à quelques mètres de la terrasse de la Belle Equipe… j’ai entendu les tirs, j’ai vu les gens courir pour fuir les scènes de mort, j’ai entendu les cris, les pleurs, les mots terribles « n’y allez pas, il y a des morts », j’ai vu la détresse des gens qui venaient de perdre sous leurs yeux leurs amis, leurs amours… j’ai couru moi aussi pour me mettre à l’abri et j’ai entendu les rues de Paris se vider des bruits des noctambules pour laisser la place aux sirènes des pompiers, des policiers, des ambulances… Alors ce roman en choisissant comme point de départ cette nuit terrible est pour moi marquant.
Ici point de récit des attentats, ils sont évoqués en creux d’une histoire qui me rappelle un fait divers autour de ce 13 novembre 2015 : une jeune femme s’était fait passer pour une des victimes du Bataclan afin de toucher une indemnisation avant que l’escroquerie ne soit découverte. Dans le roman de Constance Rivière, on retrouve cette falsification du
réel à travers le personnage énigmatique d’Adèle : « 13 novembre 2015. Comme tous les soirs, Adèle est assise seule chez elle, inventant les vies qui se déroulent derrière les fenêtres fermées, de l’autre côté de la cour. Quand soudain, en cette nuit de presque hiver, elle entend des cris et des sirènes qui montent de la rue, envahissant son salon, cognant contre ses murs. La peur la saisit, elle ne sait plus où elle est, peu à peu elle dérive. Au petit matin apparaît à la télévision l’image de Matteo, un étudiant porté disparu, un visage qu’elle aimait observer dans le bar où elle travaillait. Sans y avoir réfléchi, elle décide de partir à sa recherche, elle devient sa petite amie. Dans le chaos des survivants, Adèle invente une histoire qu’elle enrichira au fil des jours, jouant le personnage qu’on attend d’elle. Les autres la regardent, frappés par son étrangeté, mais ils ne peuvent pas imaginer qu’on veuille usurper la pire des douleurs. » (présentation de l’éditeur Stock)
Adèle est un fantôme dans sa propre vie. Jeune fille abandonnée, seule, dont le passé reste mystérieux, Adèle se crée une histoire qui lui donne de l’épaisseur, du sens, qui l’enveloppe de vie alors qu’elle se sert de la mort pour vivre. Ce personnage est dérangeant, à la fois antipathique par ce mensonge qu’elle tisse et en même tant suscitant une sorte de compassion inexplicable. Sa solitude, son mystère, sa douleur d’être seule peuvent toucher le lecteur comme elle touche le personnage de Saïd et paradoxalement elle irrite, elle énerve par son culot à mentir à tous, ouvertement, persuadée que son mensonge, sa fiction, est devenu réalité. Le roman est subtilement construit. Ici pas de mystère, on sait dès les premières lignes qu’Adèle sera condamnée pour cette supercherie, cette arnaque. Mais Constance Rivière par l’alternance entre le récit d’Adèle et les récits de Francesca, la mère de Matteo, Saïd ou le patron du bar, permet au lecteur de remonter le mécanisme du mensonge, de donner un double éclairage sur ce glissement de la réalité à la fiction et de la fiction à la réalité.
« Elle revivait dans ce drame, racontant encore et encore l’histoire dans laquelle elle s’était installée, pour que les mots lui donnent le poids de la réalité qui lui manquait »
Le mensonge est la chair d’Adèle, son souffle. Et moi il m’a happée, dérangée et intriguée. J’ai aimé l’écriture de Constance Rivière, le sujet qu’elle a choisi : cette frontière mince entre réalité et fiction. Elle évoque aussi subtilement les maux de notre société : l’abandon, la solitude, le besoin d’être aimé et reconnu. – Emilie Gracia

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Adèle est une fille sans histoire depuis son plus jeune âge. Elle n’existe pour personne. Alors comme pour s’inventer une vie elle observe les gens et s’accapare la leur. Novembre 2015, l’attentat du Bataclan est dans tous les esprits et au lendemain de cette tragédie, Adèle recherche son ami, Mattéo, probablement mort. De là, elle invente une histoire, la sienne, la leur, celle que les autres veulent entendre. J’étais sur la réserve en lisant le sujet du roman, peur de tomber sur un personnage haïssable car il s’agit tout de même de l’attentat du Bataclan. Et bien non ! Adèle est une fille paumée, que la vie n’a pas gâtée, transparente. Sans personnalité depuis tellement d’années qu’elle vit cet évènement comme un électrochoc. Celui qui va lui permettre d’exister, d’être quelqu’un et d’avoir sa propre histoire. L’autrice aurait très bien pu utiliser un autre fait pour traiter ce problème notable. Mais pourquoi se priver d’une détresse nationale pour en faire un joli premier roman. J’ai été bluffée par le réalisme de ce texte. Est-il inspiré de faits réels ? Tout est possible avec l’Homme. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’attentat est insignifiant car c’est l’élément moteur mais le roman est basé sur l’humain dans sa construction aux autres. Une réflexion intéressante. – Héliéna Gas

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Adèle aime regarder les gens, leur inventer des vies tandis qu’elle les observe la nuit, à travers leurs fenêtres fermées. Peut-être parce qu’elle n’a pas de vie propre, de vie bien à elle, et qu’elle est encore plus solitaire qu’avant depuis la mort de son père. Alors, le lendemain des attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan, quand elle reconnaît à la télé le visage de Matteo, un étudiant qui fréquentait le bar où elle travaillait, elle décide de se jeter dans cette actualité tragique, et de savoir si le jeune homme fait partie des victimes. Dans l’Ecole militaire transformée en centre d’accueil pour les proches, et ensuite face aux parents de Matteo, elle se présente comme sa petite amie.
Terrible personnage que celui d’Adèle, dont l’usurpation et les mensonges lui permettent enfin d’exister. D’acquérir un peu d’épaisseur, de cesser d’être transparente aux yeux de tous les autres. « La non-permanence de son être dans le regard des autres rendait impossible qu’elle puisse trouver une identité propre« . D’elle on découvre petit-à-petit le passé, la mère inexistante et inconnue, le traumatisme initial puisqu’elle porte le nom de sa sœur décédée 18 mois plus tôt, l’enfance solitaire auprès d’un père en mouvement perpétuel, décidant au dernier moment de déménager ; enfant elle s’est « réfugiée dans les livres, les histoires, les siennes et celles des autres », dans un monde imaginaire avec lequel, très vite, elle a confondu la réalité. Et voilà que se présente enfin pour elle un moyen d’exister, la voilà qui prend corps enfin, et qu’on la regarde, qu’on la nomme, qu’on la reconnait. Adèle donne libre cours à sa mythomanie, dans un monde « également faux et également vrai ». En est-elle consciente ? Toute l’ambiguïté du récit repose là-dessus, sur sa capacité à tenir le « rôle de sa vie » sans que l’on ne sache jamais jusqu’où elle y croit vraiment, sans qu’elle émette jamais un seul remords. Terrible histoire donc que celle d’Adèle, qui a comblé les vides de son enfance en s’inventant des histoires, jusqu’à cette monstrueuse mystification de se faire passer pour proche d’une des nombreuses victimes du Bataclan. – Emmanuelle Bastien
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Ce texte n’est pas un livre sur l’attentat du 13 novembre, ce drame sert juste de prétexte pour explorer la psychologie d’Adèle. J’ai beaucoup aimé ce roman court mais très dense. L’histoire troublante de cette femme affabulatrice, usurpatrice d’un drame qu’elle n’a pas vécu est très bien maîtrisée. La construction est habile car l’auteure mêle les voix de l’entourage d’Adèle. La psychologie d’Adèle est bien développée, c’est une fille solitaire sans histoire qui a toujours rêvé sa vie, qui a trouvé refuge dans des mondes imaginaires depuis l’enfance. L’auteure nous fait découvrir peu à peu sa lourde histoire familiale, sa souffrance ancienne et profonde et parvient à la rendre très émouvante. J’ai éprouvé de l’empathie pour elle malgré le caractère monstrueux de son comportement, une empathie aussi forte que celle que j’ai éprouvée pour Francesca, cette mère dont Adèle a volé le deuil.
Un premier roman très prenant que je n’ai pas pu lâcher. – Joëlle Guinard
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Dans ce livre, il est question d’une usurpation de la douleur et du traumatisme, d’une victimisation inventée, de troubles psychologiques, de perversion et de manipulation.
Une ambiance toxique et malsaine…
Une écriture très, voire trop, narrative…
Une focalisation en alternance de points de vue que l’on retrouve peut-être trop souvent dans les romans contemporains : facilité d’écriture ? J’avoue que je commence à considérer par ce biais cette façon de décomposer un récit…
Un personnage principal, Adèle, à laquelle je n’ai jamais réussi à m’attacher, une fille « transparente » et pourtant capable d’une forme de dédoublement de personnalité qui la pousse à commettre des actes dont elle se serait peut-être crue incapable…
Ce qui sauve ce livre, c’est son atmosphère baudelairienne avec le rappel constant de la solitude, l’image récurrente de la fenêtre et une certaine étrangeté, un paradoxe, une re-création du monde ; Constance Rivière a le souci des détails et les rend bizarres et choquants entre idéal fantasmé et triste réalité. Quelque part, c’est Le Spleen de Paris revisité à la terrible lumière des attentats qui ont frappé la ville en 2015.
Une fille sans histoire est un roman dérangeant qui met l’accent sur l’attitude marginale mais, hélas, bien réelle des fausses victimes des attentats, de celles et ceux qui essaient de tirer profit d’une situation catastrophique pour exister et se faire valoir, au sens propre et figuré.
Un ressenti mitigé donc pour ma part, mais un livre intéressant à plus d’un titre : un roman paradoxal. – Aline Raynaud
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Bien sûr, ce livre se passe pendant et après la tragédie du Bataclan, ce fameux 13 novembre 2015, mais le sujet n’est pas là. Le terrorisme est plutôt en fond (et tant mieux, pour ma part).
Il s’agit ici de comprendre comment une jeune fille, Adèle, de celles que l’on ne remarque pas, ni belle ni moche, de celles dont on oublie toujours le prénom, se retrouve emportée par un mensonge plus gros qu’elle. Adèle a toujours vécu à travers les autres, elle est un peu paumée, cette jeune femme de 25 ans au chômage, qui passe ses soirée à observer la rue derrière la fenêtre de son petit appartement parisien. Elle n’a pas eu un parcours très simple et on peut dire que je la vie ne l’a pas beaucoup gâtée malgré sa courte existence.
Alors, forcément, pour une fois qu’il lui arrive quelque chose, ou plutôt qu’il se passe quelque chose tout près d’elle, elle se laisse emporter, elle entre dans la lumière (un peu, enfin) même si cette lumière vient des ténèbres. Elle marchait toujours voûtée, elle se redresse, elle prend sa place dans la tragédie, elle joue un rôle et elle y croit. On la reconnaît. Même à la TV dis donc ! Elle devient quelqu’un en somme.
Comment a-t-elle pu en arriver là ? Est-elle un monstre ? Est-elle sans humanité ? Est-elle fragile ou finalement totalement sans morale ? Tellement de questions passionnantes au fil des pages qui s’avalent d’une traite et qui dissèquent sans concession la mécanique implacable dans laquelle Adèle s’est jetée à corps perdue. – Laetitia Badinand
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Il était une fois un étrange personnage, un parasite toxique et dangereux à facettes multiples, en partie caméléon, en partie mante-religieuse, qui saurait modifier sa personnalité pour mieux aspirer le regard et le vécu des autres, creux au-dedans pour pouvoir se remplir des autres. Un personnage ultra neutre, en non-vie, mais en envie, “inspirant” la personnalité et l’histoire des autres pour s’en nourrir, un être dérangeant, intrusif, impalpable, incernable. Vous aurez ainsi l’héroïne Marianne-Adèle, inconfortable et malsaine, une fille sans histoire…
Ce personnage insignifiant d’apparence, cette fille quasi invisible, recèle toutes les nuisances possibles, menteuse, obsessionnelle, mythomane, manipulatrice, jalouse, perverse. L’occasion d’un attentat monstrueux au Bataclan va devenir sa scène de jeu. Ses qualités d’empathie et d’avidité lui permettent d’endosser la colère, la douleur, la faiblesse des autres. C’est aussi une histoire où plusieurs voix raisonnables croisent sa voix imaginaire, ce sont des blessures contrariées par les miroirs déformants qu’elle leur tend, c’est un château de cartes qui va s’écrouler… La construction de cette intrigue sur sable mouvant, va enfin s’effriter, s’enliser, et se désagréger. Fin de l’imposture. C’est une histoire à la fois révoltante, émouvante et triste, celle d’un être en dérive, en dépression, en fantasmes, en manque d’amour et de considération.
Ce n’est pas pour moi un coup de cœur, car je ne sors pas de cette histoire très heureuse, mais plutôt soulagée qu’elle soit finie, envie de tourner la page. Mais c’est un coup de maître pour cette jeune auteure, par la justesse de son écriture et sa capacité d’exprimer les méandres de l’âme. Bravo. – Martine Magnin
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Une fille sans histoire, titre qui décrit si bien l’héroïne. Adèle est une jeune fille transparente, qui ne se fait pas remarquer mais qui on le sent s’est enlisée dans la dépression. Après la perte de l’être le plus cher à ses yeux et la perte de son travail, elle vit recluse chez elle et vit a travers la vie des autres telle que perçue au travers d’instants volés.
Adèle est perdue et a besoin d’un lien avec le monde et ce lien elle va le créer, l’exploiter pour essayer de réapprendre à vivre malgré la morbidité de son acte, malgré les nombreux mensonges créés, elle s’enlise dans le mensonge et n’a pas l’air de retrouver les barrières qui délimitent le réel de l’invention.
Roman dérangeant qui se lit d’une traite. A la fin bien qu’on puisse comprendre la solitude d’Adèle, plusieurs questions restent en suspens: pourquoi a-t-elle fait ça ? La solitude justifie-t-elle un mensonge pareil ? – Ana Pires

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« Elle voudrait lever la tête mais elle n’y arrive pas. »
Elle, c’est Adèle condamnée à douze mois de prison dont six avec sursis, au dernier jour de son procès.
Comment en est-elle arrivée là ?
Pour le savoir, il nous faut partir à rebours, remonter le temps, revenir à ce vendredi 13 novembre 2015.
Paris. Depuis sa fenêtre qu’elle ouvre chaque jour à la nuit tombée, elle épie ses voisins, se laissant aller à imaginer leur vie par-delà les fenêtres closes quand, soudain, le vacarme des sirènes se joint aux hurlements qui montent de la rue jusqu’à son appartement plongé dans le noir. La télévision, qu’elle allume, lui dit le drame qui s’est joué à quelques mètres de chez elle à peine. Au matin, hébétée, elle voit se figer à l’écran un visage connu, celui de Matteo, étudiant italien et client du Cri du peuple, bar où elle travaillait avant que le patron, Jacques, ne décide de la congédier.
Adèle, c’est cette « recluse volontaire » de 25 ans, « dormant le jour, veillant la nuit ». Adèle, c’est cette fille sans histoire jusqu’à ce jour de « presque hiver » où elle décide de se donner une scène pour y créer le rôle de sa vie, celui de la petite amie de Matteo, une des victimes de l’attentat du Bataclan. Par un malsain tour de passe-passe, la mort du jeune homme devient le sauf-conduit de sa renaissance au monde.
« Elle a commencé à raconter une histoire, qui deviendrait rapidement son histoire, comblant des trous, ajoutant des liens pour que ça semble cohérent, sinon personne ne comprendrait. »
« Enfant triste qui n’avait trouvé sa place nullement », Adèle entre comme par effraction dans la famille de Matteo, profitant impudemment de leur désarroi. La femme providentielle, c’est elle.
Ce roman, dont il serait faux d’écrire qu’il est sans surprise même si on connaît la fin, est celui d’une imposture forgée sous l’impulsion du moment par une jeune fille transparente, en mal de reconnaissance depuis l’enfance et désireuse de quitter l’ombre des coulisses pour les lumières de la scène.
Impulsion ?
Oui, de prime abord seulement. En effet, très vite, Adèle se révèle calculatrice, prudente, habitée par son rôle :
« Quand les parents se sont approchés, elle s’est levée et elle a fait ce qu’elle avait pensé être le plus naturel – mais qui pour elle n’était pas naturel du tout, premier acte d’une longue comédie, geste pensé avant que d’être senti, elle avait bien réfléchi à ce moment, décisif, tout se jouerait dans ces premières secondes. »
Ou, plus loin :
« la phase d’observation terminée, rideau levé, à elle de jouer, c’était son moment, son entrée en scène […] ce fut étonnamment facile, elle avait bien révisé, elle s’était entraînée. »
Ces allusions patentes à la mascarade qui se joue – je me risque à dire qu’elles auraient mérité plus de finesse – m’ont interdit toute empathie envers cette jeune femme. Comment Adèle a-t-elle pu tenir son rôle aussi parfaitement qu’elle a abusé un père, une mère, des associations d’aide aux victimes, des psychologues, avant d’être percée à jour ?
La construction non linéaire choisie pour donner à lire cette mystification est celle d’un roman polyphonique, qui alterne chapitres écrits à la 3e personne mettant en scène – le mot est juste – Adèle, et dépositions à la première personne faisant entendre la voix Francesca, la mère de Matteo, éperdue de douleur, instinctivement méfiante mais qui ne pourra pas empêcher le « pillage organisé » du deuil, ou encore celle de Saïd, psychologue qu’Adèle n’aura aucun mal à berner, ce qui, je trouve, ne manque pas de sel, là où d’autres lecteurs seront peut-être amenés à penser que tout cela n’est pas très cohérent. Dans une moindre mesure, tous ceux qui ont croisé Adèle à cette époque-là (Jacques, le patron du bar, Thomas, des Beaux-Arts où Matteo étudiait) prennent la parole pour raconter comment ils ont été floués. De simples pions sur le « terrain de jeu » d’Adèle.
L’écriture de Constance Rivière est aussi travaillée que les affabulations, les souvenirs falsifiés d’Adèle qui s’empare sans vergogne d’un drame national pour rider l’étale de son quotidien. Grandie dans l’absence d’une mère, auprès d’un père volontiers conteur, toujours entre deux départs, Adèle a ce besoin impérieux de (s’)inventer la stabilité d’une famille, de (se) raconter une vie, fût-elle construite sur les sables mouvants du mensonge :
« Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidée à vivre,
à sentir que je suis et ce que je suis ? »
Tout porterait à un certain degré d’empathie… mais voilà, je n’ai jamais réussi à ressentir autre chose qu’une colère sourde, une rage latente pour cette « usurpatrice, menteuse, voleuse ». Les toutes premières pages ne cachent rien de sa difficulté à demander ce pardon qui libèrera bien tardivement le flot de ses larmes.
Pourquoi lui faudrait-il présenter des excuses pour, enfin, avoir pu exister ?
Puisque le dénouement nous est connu, l’intérêt de ce premier roman tient dans l’élaboration patiente d’une imposture et son dévoilement. Une fille sans histoire est écrit à bonne distance, ce qui le rend d’autant plus glaçant. – Christine Casempoure
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Voici un premier roman mené d’une main de maître ! L’écriture est un aimant ! Captivante, elle attire le lecteur de suite, dans cette profondeur de ton réfléchi, dosée à point et sérieuse. Douée de ce réel, l’histoire rappelle des faits sombres qui sont advenus lors de l’attentat au Bataclan le 13 Novembre 2015. Adèle est chez elle. Cette dernière observe le chao, les mouvements et les secousses. Écoute les cris et perçoit un drame qui va résonner en elle jusqu’à l’abîme. Constance Rivière telle une marionnettiste tire les ficelles. Va faire de sa trame une envolée chorale où les protagonistes tour à tour vont parler d’Adèle. Cette dernière est la voix off. La première victime, elle-même. Elle va sombrer dans le gouffre de ses souvenirs, le décès de son père, et le vide de sa vie. Dépressive voire plus, Adèle détient un espoir : le mensonge. De jour en jour, le château de cartes se fragilise. Adèle s’éveille dans la folie mythomane et à contrario se meurt par ses dires absolument terrifiants. Les voix vont monter crescendo. Le récit devient un terrain miné, l’irrévocable pour Adèle. Rarement un roman réussit ce tour de force. On a pitié d’Adèle malgré tout. Son macabre jeu est construit avec intelligence. Plus elle ment, plus elle se réalise. Mais quel est ce mensonge ? Ne rien dire de plus !! Juste, lisez ce récit. « Cette fille sans histoire » passe-muraille, quelconque et éteinte. Ce premier roman est brillant, noir, un peu comme un thriller moderne, dramatique, dont le suspens se situe dans l’esprit d’Adèle. Il est étonnant et sonne juste. C’est un témoignage capital, sans jugement de l’auteure. Et c’est là, le summum de ce récit. A lire pour comprendre les mécaniques humaines en lâchant prise à tout jugement. – Evelyne Leraut
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Quand les détonations et le hurlement des sirènes déchirent la nuit de ce 13 novembre, Adèle est comme à son habitude à sa fenêtre. Habitant non loin du Bataclan, seule dans son appartement elle perçoit le danger et la panique sans pouvoir ni voir ni comprendre ce qui se passe… Dans les heures et les jours qui suivent, lorsque les chaînes d’info en continu lui révèlent l’ampleur du drame, elle frissonne en reconnaissant le visage d’un jeune homme qui fréquentait assidûment le bar où elle a un temps travaillé… Au-delà du choc, ce sentiment de proximité avec l’un des défunts va amener Adèle à se rapprocher des parents de ce dernier et à prendre une part de plus en plus active dans les associations d’aide aux familles des victimes…

Encore un livre sur les attentats ? Pas vraiment. Ou bien sur un phénomène très particulier qui a suffisamment ébranlé et intrigué l’auteure pour qu’elle en fasse un roman. Car, si comme chacun de nous à l’époque, Adèle est meurtrie par ce déchaînement de violence et de haine, elle adopte un étrange comportement. Cette jeune femme effacée, que personne ne remarque et qui n’a jamais réussi à nouer de relations amicales ou amoureuses, va trouver dans ce terrible événement et dans le trouble généralisé qu’il suscite, l’occasion d’exister.

Le propos de ce roman n’est donc pas tant d’interroger notre réaction face au drame que de révéler la façon dont une blessure individuelle qui lui préexistait s’inscrit dans une douleur collective pour se confondre avec elle et la dépasser.

Pourquoi certaines personnes ressentent-elles le besoin de s’inventer un statut de victime et, surtout, de s’exposer ainsi, prenant le risque d’être démasquées ? Qu’est-ce qui les pousse à élaborer cette fiction à nos yeux impardonnable et qui nous heurte tant ?

Tout l’intérêt du roman de Constance Rivière est de mettre de côté ce sentiment de trahison pour tenter de comprendre ce qui nous semble si dénué de sens et de décence. L’auteure montre parfaitement la manière dont son héroïne finit par croire elle-même à sa propre fiction, lui permettant d’accéder à une identité dont elle se sentait jusqu’alors privée. Ce faisant, elle nous aide à saisir la nature d’un phénomène toujours extrêmement troublant lorsqu’il apparaît au grand jour.

Un récit tout à fait convaincant pour un premier roman parfaitement maîtrisé ! – Delphine Depras

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Assez lassée des auteurs qui reprennent le thème très vendeur des attentats à Paris je me suis lancée dans cette histoire sans grand enthousiasme mais j’ai très vite été conquise par l’angle de vue inhabituel de ce récit.
Adèle se fait passer pour la compagne d’un jeune italien et, d’invention en invention, une histoire prend corps. Cette jeune femme complètement éteinte, limite marginale trouve un regain d’énergie et un intérêt soudain pour la vie en se dépensant sans compter pour la défense des victimes. Enfin on s’intéresse à elle. Elle sort de l’anonymat, passe à la télé, elle qui, depuis une enfance calamiteuse, est transparente.
Ce thème est original. Constance Rivière donne vie, avec beaucoup de justesse, à ce personnage d’Adèle, qui à force de raconter des mensonges, finit par ne plus savoir démêler le vrai du faux. Adèle est une femme d’aujourd’hui, écrasée par sa banalité, son manque de personnalité, qui du jour au lendemain renaît par une sorte d’usurpation d’identité. Combien sont comme elle, prêts à tout pour sortir de leur isolement en s’inventant une vie? Leurs mensonges deviennent alors plus forts que la réalité. Mais quand il s’agit des victimes d’un attentat sont-ils pardonnables?
Un premier roman prometteur. – Françoise Floride Gentil
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Lorsque la vie n’est que fadeur et transparence, rêvée derrière la vitre d’une fenêtre anonyme, l’attentat odieux de novembre 2017 apparaît comme une aubaine pour passer de l’ombre à la lumière. Adèle, (ou Marianne?) réagit au quart de tour pour se glisser dans la peau de la fiancée de Matteo, un jeune étudiant italien qui assistait au concert ce soir de novembre, qui a sidéré un pays entier. Elle le connaissait, ce jeune homme , pour l’avoir servi au bar qu’il fréquentait, et pour lui avoir dérobé les dessins qu’il griffonnait sur les nappes, s’inventant déjà une romance impossible.
Avec prudence, elle se compose un personnage, dont a posteriori les témoins interrogés pointeront les incohérences, trop subtiles pour mettre d’emblée le doute. Sa vie entière est remodelée à partir du drame. Et il faudra la perspicacité de la mère de Matteo pour que tombe le masque.
La construction est habile, avec la parole donnée en alternance à tous ceux qui se sont faits piéger par l’usurpatrice, ce qui donne du rythme au roman.
Même si cette histoire est une fiction, elle est d’autant plus vraisemblable que des fausses victimes ont en effet tenté de tirer parti de la confusion ambiante le plus souvent pour bénéficier d’une compensation financière. Ici la force du propos repose sur la personnalité de la jeune femme, inexistante aux yeux de son entourage, de celles dont on ne revient même pas le prénom, et qui se saisit de l’occasion dans une sorte d’élan de survie, pour vivre ses illusions. Sans compassion, sans contrition ni regret.
Un premier roman intéressant., pour la qualité de l’écriture et l’adresse avec laquelle l’auteure s’est saisie du sujet. – Chantal Yvenou

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