Varsovie-Les Lilas – Marianne Maury-Kaufmann

« Francine fuit. Chaque minute, chaque jour, chaque rencontre, chaque souvenir. Elle fuit. À bord du 96, bus dont elle connaît chaque recoin, chaque arrêt, chaque chauffeur. Elle fuit. Elle écoute et observe. Parler ? Dire ce qui lui brûle le palais ? Elle en crève d’envie mais elle a oublié, tout comme pleurer ».

Varsovie Les lilas

Quand l’histoire débute, il est novembre. Il fait gris moche. « Les gens font moins les marioles ». Francine vit à Paris. Seule. Dehors. A l’intérieur. Elle est comme « un insecte dans sa carapace ». Elle ne ressent rien. Rien. Depuis l’enfance. Elle a « autant de sensibilité qu’une dent creuse, et autant d’amour à donner. » Francine ne sait pas être avec les autres. Même avec sa fille. Elle ne sait pas non plus être avec elle-même. Pourtant Francine, elle étouffe dans sa trop grande solitude.
Alors, Francine, elle se précipite. Pas le choix. De bus en bus, elle bouge Francine. Dans tout Paris, elle décampe. Tous les jours. Jour après jour et du matin au soir. Elle dépend de ce vertige. Celui qui prend Francine dès qu’elle est immobile. Dès qu’elle stationne. Les chauffeurs ne peuvent pas savoir que c’est lui qui la jette en avant. Que c’est lui qui la précipite dans leurs bus et l’en expulse avec la même autorité. Le vertige qui survient irrésistiblement dès qu’elle se pose quelque part, comme une force supérieure qui veille à ce qu’il ne lui pousse jamais la moindre racine.
Sans doute parce que Francine est trop enfouie-envahie par son histoire. Elle est comme plombée par cette vie de misère qui lui colle à la peau et qui, jamais, jamais n’est racontée. Partagée. Elle voudrait pourtant. « Elle a ça au bout de la langue. » Mais ça ne sort pas. Francine est une plaie-secrète-enfouie-jamais-dite.
Pourtant, dans la vie, il y a des chemins de traverse. Des voyages imprévisibles. D’autres possibles. « Il faut juste attendre son tour ».
Ce roman est un peu particulier du fait de son sujet et de ce personnage central rempli de silence et de solitude. Qui tourne en rond, autour d’un point mort. Cette Francine nous semble si triste, si vide. Si sèche. Elle nous tord un peu le bide, Francine. Pourtant, ce roman est impossible à lâcher. Pour Francine d’abord. Et pour l’espérance aussi. Pour les mots d’Alain Souchon que j’ai fredonné durant toute ma lecture…
La vie ne vaut rien. Rien.
La vie ne vaut rien. […]
Là je dis rien, rien, rien
Rien ne vaut la vie.
[Alain Souchon, La Vie ne vaut rien]
C’est un roman donc qui n’est pas toutafé joyeux. C’est une histoire forte qui raconte ceux qu’on ne voit jamais. Les sans-paroles. Les invisibles. Les qui-valent-rien. C’est un roman qui fait penser les autres autrement. Qui dit la vie aussi, la joie et les rencontres qui changent tout. Surtout quand il ne reste rien. Rien. Juste la vie.
J’ai mis un peu de temps à lire cette histoire. J’ai mis aussi un peu de temps à écrire ce billet. Je crois que je peux dire maintenant que j’ai beaucoup aimé ce roman. – Framboise Lavabo
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Sans vouloir faire de la psychologie à deux sous, tout le monde sait bien que, derrière leur nez rouge, les clowns cachent des cœurs gros comme ça et que, si leurs chaussures sont si grandes, c’est pour pouvoir contenir toute la mélancolie qui les leste. Ainsi en va-t-il de Marianne Maury Kaufmann.
D’elle, on ne connaissait que la légèreté colorée d’une Gloria pétillante d’humour et de mauvaise foi, voici qu’elle nous révèle, à mots comptés, une Francine à la douloureuse transparence, traînant, le cœur lourd, ses casseroles de plomb sur la ligne 96 des bus parisiens.
Elle est agaçante cette Francine, petite souris grise et terne glissant sans bruit dans sa propre existence, toute à l’observation de celle des autres, prisonnière à perpétuité de son histoire sans joie, de son appartement trop propre, du trapèze de ciel qui s’offre à sa vue, de son incapacité à créer un vrai lien, même avec sa propre fille. Elle est surprenante de jeter soudain son dévolu sur cette jeune femme étrange et évidemment, éminemment, exagérément toxique, croisée sur sa ligne de bus, sa ligne de vie habituellement sans surprise. Elle est émouvante, pour finir, lorsqu’ elle accepte de mettre pied à terre pour entrer, enfin, de plein pied dans sa vie.
Malgré les chaos du chemin, les déviations qui déboussolent et donnent l’impression de se perdre, l’éclairage parfois un peu terne, la température aléatoire, le style sobre, fluide et enlevé de Marianne Maury Kaufmann donne envie de suivre sa ligne jusqu’à un terminus joliment surprenant. – Magali Bertrand
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Il y a une certaine émotion, sensibilité à lire Varsovie – Les Lilas, à se laisser porter par les mots de Marianne Maury Kaufmann et son personnage principal, Francine, 80 ans. Un prénom comme une vieillerie, une faucille d’un temps passé, fauchée, naufragée. Un prénom comme on aurait pu en donner cent autres, des centaines, des milliers comme elle, comme Francine qui on le comprend très vite, à passer sa vie à fuir, fuir son enfance, fuir son pays, fuir les confins d’une Pologne occupée et un Paris déshumanisé.
Mais les silences ont besoin de respirer, de faire face à tous ces souvenirs enracinés, ces traumatismes indélébiles, ces encres que l’on croit disparaitre et qui renaissent à la faveur d’une flamme incandescente, une rencontre comme peut l’être une tempête, une bourrasque, une violence.
Un roman qui nous prend à la gorge par ce rythme saccadé, humain, sensible, soutenu, tel un bus qui prend son élan et marque l’arrêt soudainement. L’émotion accentue le rythme. La précarisation d’une vieillesse fantôme, nous saute à la gorge, la solitude, l’absence trop présente, les souvenirs qui embrasent la vie, empêchent de respirer et explosent dans une violence inouïe. Une tendresse que l’on devine et devient palpable, à fleur de peau, infiniment belle et humaine, bienveillante, comme un irrépressible besoin d’amour, une ville comme un paravent, un personnage référent. L’écriture saccadée de Marianne Maury Kaufmann s’étoffe nous donne air et vie, délicatesse et humanité. Et il est beau de se laisser glisser au côté de Francine, de rencontrer ses silences, sa solitude, de ressentir la puissance de la ville, son vrombissement, ses rues comme avenues, de ce qui bat, structure, fait fuir ou exister. Il est beau de ressentir la force qui nait d’une rencontre même si celle ci est nuisible, éphémère, toxique, de lire cette force de renaissance, de vouloir redonner vie, contour, parcelle de lumière, de fragilité. Redonner vie. Derrière les rideaux, derrière les âges et les rides, ce passé qui colle aux pieds et empêche d’aimer, d’être aimé, de ressentir l’amour, exister. – Sabine Faulmeyer
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Francine, c’est l’anti-cliché de la mamie-gâteau qui câline, se rend disponible, va chercher les petits-enfants à l’école, prépare des gâteaux parfumés à l’heure du goûter.
Francine, c’est plutôt une femme qui renaît, à l’âge de la retraite, qui se découvre, s’apprivoise et tente de s’ouvrir au monde. Rassurée par les mêmes gestes et les mêmes trajets, quotidiens, elle frôle la jouissance émancipatrice quand, elle se perd dans la ville et dans la vie, pour sauver l’humanité en devenir d’une jeune femme au regard vide. C’est elle même qu’elle souhaite sauver, même si elle ne le réalise pas immédiatement. L’exercice n’est pas simple, Marianne Maury-Kayfmann offre au lecteur une plongée dans les abîmes d’une vie de silence, de morsures et de poids. Le tour de force de faire revenir cette vieille femme revêche dans le tourbillon de la vie est un combat.
Nous-même, lecteur , avons le sentiment de batailler pour suivre les pérégrinations de la vieille femme, ne pas la perdre, notre lecture ne tient qu’à un fil. – Anne Richard
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Francine. Elle a tout de la mégère, acariâtre, solitaire par choix, distribuant in petto ses commentaires acides à quiconque croise son chemin. Le stratagème qu’elle utilise pour établir le contact avec ses congénères, les heurter physiquement, la contraint à arpenter les petites rues, pour que cet « accident » paraisse naturel !
« Francine échange surtout avec ceux qu’elle tamponne dans les rues. Elle tamponne puis présente ses excuses auxquelles on répond, et c’est déjà une voix qui s’adresse à elle »
C’est dire l’étendue de sa solitude. Les relations avec sa famille, sa fille, se sont construites sur des malentendus, ces méprises ordinaires qui animent dramatiquement les rencontres festives imposées par le calendrier.
Et puis, l’irruption soudaine d’une curieuse femme en vison et bottes militaires, croisée au cours des multiples trajets en bus qui emplissent ses journées, va totalement changer le quotidien assez désespérant de la vieille femme.
Malgré l’insistance (volontaire) de Marianne Maury Kaufmann pour dresser un portrait négatif de son héroïne, il est impossible de la détester. Et même impossible de ne pas l’aimer. Même si peu à peu on ne découvrait pas les douloureux souvenirs qu’elle porte, le veuvage, la Shoah, Francine incite à l’empathie. On n’arrive pas à y croire, à cette méchanceté affichée et ostentatoire.
Cela parle de la vieillesse, du poids de l’histoire, petite ou grande, de la solitude, mais cela reste lumineux. La plume délicate et sensible de l’auteur rend possible ce qui pourrait sembler une gageure, éprouver une grande tendresse pour un personnage négatif. – Chantal Yvenou
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Il est question ici d’une errance urbaine et mentale au sens propre et figuré puisque l’héroïne, Francine, déambule dans les rues de Paris et passe la plupart de ses journées dans les autobus de la ligne 96 tout en ressassant son mal-être.
Il est aussi question de solitude et de rapports familiaux ; Francine est veuve et a du mal à communiquer avec sa fille.
Il est question enfin d’une rencontre improbable qui va évoluer en relation toxique, d’une « emprise » qui fait rêver d’une « nouvelle vie » …
Et puis, il y a toujours le passé qui revient, le traumatisme d’être née en 1939 à Varsovie, « le pire endroit sur terre », les fêtes de Noël qui approchent et ce parcours routinier qui s’écrit en la forme circulaire d’allers et retours sur une ligne d’autobus. On tourne en rond et cela semble sans fin.
Le traitement de l’errance mentale est original. Ce roman est très bien écrit. La notion d’espace-temps s’étire et se réduit selon que l’on considère les durées des trajets, leurs interruptions et leurs reprises et les évènements rapportés. Tout devient prétexte à interprétation : les surnoms donnés aux chauffeurs, les postures des autres passagers, les boutiques visitées…
Les personnages sont campés à travers le point de vue de Francine, de sa vision pessimiste de la vie, des souvenirs qu’elle traine… C’est très noir, comme si un voile sombre enlaidissait tout, comme si l’héroïne nous entrainait à sa suite dans sa routine mortifère. Je n’ai pas cru à la fin possible…, certaine que Francine va retourner dans le bus 96 dans les jours à venir et recommencer son impossible quête d’un endroit ou d’une personne pour déposer son fardeau.
Voilà une lecture bien singulière pour moi. Ce roman ne m’a pas plu et pourtant je lui trouve des qualités indéniables.Ce n’était peut-être pas le bon moment pour le lire. – Aline Raynaud
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Dans ce court texte tout en subtilité Marianne Maury Kaufmann nous conte la solitude de Francine et son incapacité à communiquer. Francine n’est plus toute jeune, veuve, peu liée à son unique fille, alors, pour passer le temps, elle se fond dans l’anonymat de la grande ville en sautant de bus en bus et en observant les autres.
Elle sent bien qu’elle est passée à coté de sa vie, elle qui traîne derrière elle le boulet de la Shoah (ce pourrait être autre chose), toujours soumise aux diktats de son mari (ça l’arrangeait bien de ne pas prendre de décisions). Maintenant qu’elle est tout à fait seule que faire de sa vie, elle qui est la solitude incarnée? Elle ne peut rester en place, sa bougeotte perpétuelle est en fait un appel au secours. Elle aimerait tant communiquer avec les gens qu’elle croise dans le bus et dont elle invente les vies mais il y a un blocage dans sa tête et souvent ce qu’elle entreprend n’aboutit qu’à des relations manquées.
Le jour où elle rencontre une autre paumée qui semble avoir besoin d’elle, elle se sent revivre. Elle se toque de cette marginale qui donne un sens à ses interminables journées d’errance. Il lui faudra du temps pour admettre la toxicité de cette rencontre mais sa vie a repris du sens.
Ce n’est peut-être pas assez abouti mais j’ai lu ce roman comme un émouvant conte de Noël. J’ai ressenti de l’empathie pour cette Francine que, pourtant, l’auteure ne nous décrit pas sous son meilleur aspect. Ce second roman est une réussite et maintenant, en prenant le bus, je vais penser à celles qui y passent leur journée pour fuir la solitude. – Françoise Floride-Gentil
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Lorsque j’ai tourné la dernière page du deuxième roman de Marianne Maury Kaufmann, « Varsovie-Les Lilas« , je me suis demandé ce que je pourrais en dire, ce que pourrais écrire. Ma lecture eut une saveur mitigée, faite de hauts et de bas. Pour preuve, j’ai dû relire le début pour me remémorer l’histoire.
Francine, l’héroïne, charrie derrière elle une vie de chagrin du temps où elle s’appelait Eda et vivait à Varsovie. Elle ne raconte pas, elle ne le peut pas. Alors, elle bouge. Avant, elle marchait, désormais elle prend le bus, le 96 plus précisément et passe sa journée à vadrouiller d’un arrêt à l’autre. Sa fille, Roni, elle ne la voit presque pas et la voir est douloureux. Son mari, Jean, est décédé. Dina, sa voisine « retouchière », elle la fuit. Restent les chauffeurs de bus qu’elle affuble de surnoms, mais auxquels elle n’adresse pas davantage la parole. D’ailleurs, « Les machinistes se posent sans doute parfois la question de savoir ce qui leur vaut cette compagnie, même si, à leur poste, rien n’étonne plus. En tout cas, ils ont bien compris qu’elle ne va nulle part… Ils ont aussi compris que son nulle part elle y va seule. Elle est seule dans la vie tout court, supposent-ils. » Drôle de femme cette Francine qui un jour rencontre une jeune fille… Avril de son prénom… A elle, sera-t-elle capable de parler ?
Le début du roman me fut difficile, j’avais l’impression qu’il ne se passait pas grand-chose, je ne comprenais pas ce que cherchait Francine, je courais après elle sans savoir où elle allait, ni moi non plus. Et puis, la plume de l’auteure, parfaite pour décrire l’agitation, mais aussi les ombres et parfois la lumière m’ont cueillie et j’ai continué. L’écriture reste pour moi le bon point de ce roman, je l’ai trouvée belle. Mais ça n’a pas suffi. Pas davantage les cliffhangers que l’auteur utilise pour doper l’attention du lecteur, ni même la fin, pourtant pleine d’espoir, ou encore le personnage de « Poutine » qui seul a su m’attendrir.
Alors pourquoi ? Pourquoi n’ai-je ressenti aucune empathie ni pour Francine ni pour la Bougie, ou plutôt Avril. Pourquoi n’ai-je pas été touchée par la vie, les failles, les faiblesses, les chagrins sans doute, de ces femmes ? Pourquoi ne leur ai-je à aucun moment trouvé quelconque intérêt ? Sans doute parce que je n’ai pas tout compris de l’objectif visé. Plus sûrement parce ce n’était pas le bon moment pour moi de lire une telle histoire.
Je le regrette, mais ce roman m’aura laissée à la porte du bus 96. – Geneviève Munier
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Francine est une écorchée. Écorchée par son enfance pendant la guerre en Pologne où elle a été séparée de ses parents, ballottée de famille en famille, et dont elle sortira orpheline de père et avec une mère qui ne se remettra pas de ce qu’elle a traversé dans les camps. Avec ce bagage familial et émotionnel, Francine arrive en France, se marie avec un rescapé et a une fille. Mais, cette carapace qu’elle s’est construite petite pour survivre et traverser les épreuves ne la quittera plus. C’est donc une femme incapable de tisser des liens avec quiconque, y compris avec sa propre fille, que nous retrouvons à Paris où, une fois devenue veuve, elle passe ses journées dans le bus, toujours en mouvement, pour remplir ses journées terriblement vides. Fragilisée par cette immense solitude, Francine rencontre Avril, une jeune femme paumée, en qui elle croit reconnaître une âme sœur par son parcours de douleur et d’instabilité. Francine est sincère et s’engage entièrement pour cette relation avec Avril dans laquelle elle sera trompée. J’ai aimé Varsovie-Les Lilas et la sensibilité à fleur de peau de Francine, cette écorchée de la vie. J’ai été embarquée dans le tourbillon permanent dans lequel évolue le personnage, que ce soit au travers de ses voyages en bus ou au travers du cheminement saccadé de sa pensée. Le rythme rapide de l’écriture de Marianne Maury Kaufmann évoque avec beaucoup de justesse la solitude et la fragilité du personnage.- Nathalie Ghinsberg
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Émouvant, sincère, doux comme de la soie, malgré les trombes d’une pluie glacée. Ce roman est le canevas d’une vie chaotique dont on aime d’emblée l’héroïne. Superbement écrit, dans ce style cher aux érudits de l’art à son summum, la grâce est là, le verbe haut. Les phrases sont semblables au regain littéraire. L’incipit : « Tiens, un texto. Francine consulte sa messagerie. »Glisse subrepticement les affres de la solitude en fissures morales. On devine un antre triste, pathétique, sans bruits ni mouvements. Une Francine seule à seule en écho sourd de ce silence dont on sait qu’il va gagner sur tous les points. Et pourtant ! La lumière est là. Francine va trouver son souffle en prenant régulièrement le bus Le 96 à Paris, en échappée mémorielle dont elle connaît tous les chauffeurs, tous les habitués. La parabole de la fuite est pourtant ici, sur l’asphalte des jours sans où ce qui pourrait détruire Francine la relève en vertu attentionnée à autrui. Ses habitudes sont des soupapes de survie. On aime ses trajets, ses arrêts. Cette sociologie urbaine qui délivre ses diktats et cette femme d’un âge certain, veuve en recherche de sens. Les incompréhensions, les non-dits, les freins qui la retiennent ne sont en fait qu’une pudeur de femme qui n’ose plus. Même avec sa fille, sa petite fille méconnue pour elle, trop vivante. Francine quête son pain dans le 96 . Et là ! Francine va rencontrer une jeune femme, Avril. Se glisser dans sa vie, en mimétisme. Ne rien dire de plus. Ce roman est d’une beauté grave. Les larmes coulent mais elles sont l’authentique et le pur. L’émotion est un écrin de plénitude. « Elle remonte son ruban éternel de solitude et de silence. » On reste au fond du bus le 96 à observer Francine. Ses belles mains meurtries d’un Varsovie de terreur et d’abandon. Ce que Les Lilas auront accordé par l’effort et la tendresse, la gloire d’un bus métaphorique. Ce roman est éblouissant, majeur, intime par la confidence de l’auteur pour son héroïne. Même « S’il pleut une eau froide en vagues abandonnées. » Varsovie-Les-Lilas est ce roman qui reste à jamais. Il ne s’oublie pas. Le lecteur attend la suite. Il veut savoir l’après. Il ne veut pas quitter le bus Le 96. Il se promet de prendre ce dernier dans un périple parisien et peut-être verra t’il Francine. Marianne Mary Kaufmann vient de mettre au monde un deuxième roman époustouflant qui se lit en symbiose avec chaque mot. Brillant. – Evelyne Leraut
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Francine ne s’appelle pas vraiment Francine. En vrai, elle est Edda. Comme elle n’a plus son identité, elle peut tout aussi bien s’appeler Barbara pour un soir. Le nom fait-il la femme ? Perd-on toute identité lorsqu’on tait son nom ? Mais finalement ici, ce n’est pas le nom l’important mais le silence qui l’entoure. Ce silence qui dévore toute parole mais qui ne tue rien de ce qu’il cache : « Le silence n’a rien effacé. Le silence n’a rien à voir avec l’acide. Il ne vainc ni même adoucit quoi que ce soit, il conserve au contraire ». Quelle pire blessure que celle qui ne se voit pas ? Une déchirure qui vous brûle à l’abri des regards. Francine est une estropiée de la vie, sans blessure apparente : « Car elle trompe son monde, elle. Elle qui tient debout. Qui est même désespérément valide et infiniment résistante, qui s’est toujours fait l’impression d’être cette sale bête impossible à crever ».
Francine se tait car personne ne souhaite l’écouter. Alors, elle emprunte inlassablement le bus 96, chaque jour, jusqu’au terminus en changeant régulièrement de rame et de place. Toute la journée, elle traverse Paris dans ce bus 96, puis le soir, elle rentre chez elle. Et le lendemain encore, ce bus, à la recherche d’une oreille qui voudra bien entendre son histoire.
Mais écouter Francine, ce serait prendre sa douleur. Une douleur bien trop grande pour sa propre fille : « Parce qu’on en revient toujours à ça. A ce malheur qu’on ne lui pardonne pas. A ce fil noir, qu’il conviendrait qu’elle tranche. Allons ce qui les sépare, sa fille et elle, Francine le sait bien, ce sont les larmes. Celles qu’elle ne peut pas verser ».
A force de bus, il est fatal qu’on rencontre une semblable. Est-on toujours seul, le jour où l’on rencontre une autre solitude ? Une autre souffrance qui ne parvient pas à se dire ? Il suffisait de peu de chose pour que Francine lève la tête, une main même pas tendue, un visage sans bonté. Juste une autre solitude. Pour se regarder différemment. Pour se reconnaitre. Se retrouver.
Plus que dire, il fallait à Francine la simple possibilité de dire. Juste avoir le droit de parler. Sans forcément en user. Que quelqu’un l’autorise. Et cette tâche si sombre sur le buvard pourra peut-être s’estomper ? – Céline Bret
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Pourquoi ce titre ? Est-ce une ligne de bus parisienne ? Pas tout à fait : Varsovie, c’est la ville de naissance de Francine et Les Lilas, le terminus du bus qu’elle emprunte systématiquement tous les jours. Alors les chauffeurs, elle les connait bien, elle leur a même donné un surnom à tous mais … jamais elle ne leur parle. Francine, elle ne parle à personne si ce n’est qu’à elle-même. Habitude prise pendant son mariage. Jean était prêt à prendre tout en charge mais à condition qu’elle se taise. Difficile de briser sa solitude maintenant qu’il n’est plus là. Et pourtant elle a des choses à raconter Francine. D’abord sur son enfance malheureuse elle qui est née pendant la seconde guerre mondiale, trimbalée à gauche et à droite au point de ne plus savoir qui est sa véritable mère. Francine, c’est une rescapée des camps de concentration, qui n’a dû son salut qu’à son aplomb extraordinaire auprès d’un jeune adolescent «Emmenez-moi ! » : à quatre ans c’est de la présence d’esprit et une sacrée force de caractère ! Francine voudrait se confier car elle ressent viscéralement le besoin de parler, de libérer la parole, de faire ressortir tout ce qui est enfoui en elle. Mais à qui ? Aux psys, aux amis d’autrefois ? En tout cas sûrement pas à sa fille dont la relation dès le départ a mal commencé : c’est bien simple « en accouchant, elle a eu l’impression d’aller à la selle » ! Et si elle engageait la conversation avec cette drôle de fille, celle qu’elle a croisée dans son bus « la fille de la « rue du four » ? Pour être seulement écoutée, elle est prête à tous les sacrifices. Mais la bonne oreille attentive n’est pas toujours celle qu’on croit !
Très perplexe lors de la lecture des premiers chapitres car l’écriture surprend dès le départ, le lecteur se retrouve projeté littéralement dans la tête de Francine, pèle mêle dans ses pensées, brutes de fonderie. Une écriture tourmentée qui se déverse sur le lecteur comme un flot impossible à endiguer. C’est souvent un joyeux cafouillis dans lequel il est facile de se perdre. Mais très vite le charme de la vieille femme bougonne agit. Qui ne connait pas dans son entourage « une Francine » ? Finalement Francine est très attachante.
Le livre est agréable à lire, il va à l’essentiel, sans chichi. On est au milieu des gens que Francine croise sur son chemin, quels qu’ils soient, les gens de tous les jours, de notre quotidien, avec leurs dimensions uniques … ils nous intriguent davantage au fil des pages, de l’avancée du voyage intérieur de Francine et des préjugés qui explosent… – Françoise Le Goaëc
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Marianne Maury-Kaufmann brosse le portrait d’une héroïne que je ne suis pas près d’oublier. Elle excelle dans l’art de mettre en scène une femme enfermée dans sa carapace de solitude et de silence, elle nous livre peu à peu ses failles, ses blessures invisibles, « son malheur qu’on ne lui pardonne pas, ce fil noir, qu’il faudrait qu’elle tranche ». Elle analyse finement la relation manquée de Francine avec sa fille Roni devant laquelle Francine se sent comme paralysée. J’ai aimé la force de cette histoire et l’écriture magnifique de la première à la dernière phrase. Tout est finesse et délicatesse dans ce roman très émouvant. – Joëlle Guinard
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J’ai beaucoup aimé le personnage de Francine, cette femme enfermée sur elle-même, presque acariâtre, bourrue, solitaire, désoeuvrée, qui se cache derrière un rituel insensé, tournant sans fin sur les lignes d’autobus. Une parade silencieuse qu’elle s’impose comme une armure. Le lecteur la suit dans cette tournée infernale, entre ses rendez-vous loupés avec sa fille, et son dîner-corvée hebdomadaire chez des voisins. Avec elle, nous traînons dans le non dit, les actes manqués, la blessure inguérissable, la peur d’avouer l’amour à sa fille et à sa petite fille. L’épisode de la poupée qui dit “maman” est particulière touchant. L’épisode déclencheur de son amitié éphémère avec Roni, une marginale rencontrée sur la ligne, m’a laissée perplexe. Ce n’est pas un coup de cœur, mais un joli moment d’errance dans l’impossibilité de dire, une façon délicate de dire au lecteur, de profiter de la vie, d’oser dire la tendresse, de s’ouvrir au monde. – Martine Magnin
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Comment vit-on lorsque l’on se trouve dans l’incapacité de tisser un lien ? Quand le poids du passé écrase tout, empêche la moindre légèreté et que même l’enfance fut synonyme de malheur, d’horreur et de cruauté ? Quand la solitude est entretenue par le vide abyssal de la grande ville impersonnelle ? Où se niche l’espoir ? C’est le thème de ce roman, et c’est tout simplement bouleversant.

Varsovie – Les Lilas. C’est la trajectoire de Francine, qui, à soixante-ans bien tassés passe ses journées dans le bus 96, terminus Porte des Lilas. Elle ne peut tout simplement pas rester en place, seule dans son petit appartement. Alors ce bus, cette ligne qu’elle connait par cœur et dont elle observe les passagers et, à travers eux, la vie de la cité. De toute façon, le silence, elle est habituée. Son mari, décédé, l’imposait chez eux. Elle ne voit pas grand monde, Francine. Sa fille, de loin en loin. Sa petite-fille, à peine. C’est comme si elle ne savait pas être au monde. Dans son corps, il y a le souvenir de sa naissance à Varsovie en 1939, quelques semaines avant que la guerre n’éclate ; la séparation d’avec ses parents. La déportation de sa mère, son sauvetage à elle, miraculeux. Et de longs mois de peur et de misère avant que sa mère ne réapparaisse. Ou ce qu’il en restait. Depuis, Francine marche, et, l’âge venant, emprunte le bus. Elle cherche celui ou celle qui pourrait recueillir son histoire…

Et à travers le regard de Francine, ce que le lecteur observe c’est la solitude urbaine, la façon dont un individu n’est rien pour celui qui le croise. Les faux liens qui se tissent par nécessité – le boucher, le boulanger… – et qui quelque part donnent l’impression d’exister. Entrer dans une boutique, essayer des vêtements, prendre soudain corps dans l’œil de la vendeuse. Mais sortir sans acheter et disparaitre encore. Les regards effleurent seulement. Même celui de sa fille ne va pas au-delà de la façade affichée par Francine, ne prend pas le temps de découvrir la femme derrière la mère, et ce passé qui submerge la sphère émotionnelle. C’est en jetant son dévolu sur une femme à l’air paumé, en voulant l’aider que Francine va tenter de renouer avec ce qui tisse les liens sociaux. Pourtant, le déclic viendra d’ailleurs et par surprise.

Si la solitude et la détresse sont palpables, si l’on perçoit avec une rare acuité ce que signifie « être transparent », l’espoir et la lumière ne sont jamais absents. La plume de Marianne Maury Kaufmann progresse tout en finesse, aérienne dans les descriptions, précise dans les sensations, équilibrée dans les sentiments. D’une marque d’intérêt jaillit la lumière, et, d’une poupée à l’autre, s’esquisse la possibilité d’une réconciliation. – Nicole Grundlinger

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Être seule dans un puits sans fond, aux parois lisses, sans aspérités auxquelles s‘accrocher pour remonter vers un peu de lumière, c’est le quotidien de cette héroïne malgré elle, qui voudrait que personne ne voie sa détresse, qui voudrait s’abandonner comme un objet oublié au fond de ce bus qui tourne sans fin dans cette vie sans but.
Un jeu de miroirs fait apparaître une autre qui pourrait être un peu soi, un mirage, une illusion ? L’occasion de remonter vers la vie ou de sombrer encore en étant niée une fois de plus ? la main d’un poupon sera-t-elle suffisante pour tenir le fil ténu qui ramène à la vie ?
Un livre poignant sur ceux que la vie oublie, que nous croisons sans les voir, sur l’effroyable solitude. – Christiane Arriudarre
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Qui est cette petite vieille dame qui chaque jour parcourt la ligne 96 d’un bout à l’autre, dans ce Paris de veille de fêtes ? De la gare Montparnasse à la Porte des Lilas, elle nous fait passer devant l’église Saint-Sulpice, la Place des Vosges, le Paris chic et bobo des deux côtés de la Seine, La Grande épicerie, le Bon Marché, tout un monde ! puis par les rues populaires de Belleville et de Ménilmontant.
Paris tient un rôle important dans ce roman, le Paris de ceux qui s’y croisent sans se voir, de ceux aussi qui échangent un sourire, un mot gentil, dans le bus ou le métro. Francine fait partie de ces derniers, elle qui cherche une oreille prête à l’écouter. A plus de 80 ans, elle en a vécu des choses, depuis la douleur de la guerre et de la Shoah, le décès de son mari, l’indifférence de sa fille qui la laisse bien un peu seule et ce grand silence qu’elle voudrait combler, quelquefois.
Les thèmes de la vieillesse et de la solitude bien sûr imprègnent ce texte, mais sans larmoiements. Francine est plutôt une vieille ado, un peu facétieuse, observatrice (elle affuble tous les chauffeurs de bus de surnoms!), disponible aux rencontres. Elle se fait un peu avoir, en se mettant à la disposition de cette femme marginale à qui elle donne tout, écoute, cadeaux, services, argent. Mais donner, c’est aussi une façon de recevoir, n’est-ce pas ?
De rencontre en rencontre, Francine s’achemine doucement vers les fêtes de Noël, vers un possible partage, encore une fois, avec sa famille. Lucide, prête à ce que seront ses derniers moments, lucide et sereine.
C’est calme et doux, apaisé et sensible, drôle parfois, émouvant toujours. Un joli deuxième roman. – Evelyne Grandigneaux

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